Interview avec le Pr Désiré Avom
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Les enjeux des politiques publiques en Afrique subsaharienne
Dschang, UDs/SIC–30/01/2018. Les questions de développement constituent une préoccupation majeure pour les pays d’Afrique en général et ceux de l’Afrique subsaharienne en particulier. Face à cette situation, aussi bien les spécialistes que l’opinion publique ont des avis souvent divergents quant à l’opportunité de l’intervention des États. Dans le sillage du workshop en économie du développement sur la « Pertinence des politiques publiques de développement dans les pays d’Afrique subsaharienne » qu’abrite la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion (FSEG) de l’Université de Dschang (UDs) ces 29 et 30 janvier 2018, le Pr Désiré Avom, Doyen de cet établissement, revient sur la signification et les enjeux des politiques publiques en Afrique subsaharienne.
Quand on évoque la pertinence des politiques publiques, est-ce qu’on ne voit pas vite une ambiguïté comprenant la critique de la gouvernance et même de la démocratie ?
Il faut peut-être qu’on revienne sur ce qu’on entend par politique publique. Une politique publique c’est toute intervention publique qui est conduite par les décideurs publics pour orienter l’activité économique, le bien-être des agents économiques. Il y a tout un gros débat sur la pertinence de cette politique publique. Est-ce qu’elle doit être menée par l’État ? […] Les auteurs keynésiens qui soutiennent que l’État doit intervenir ; d’autres disent qu’il ne faut pas intervenir –les classiques et les néoclassiques aujourd’hui dont le message est relayé par les institutions financières internationales qui disent qu’il y ait moins d’État dans l’activité économique–. Donc, on est au milieu de ces deux grandes tendances. Est-ce qu’il faut intervenir, et comment intervenir et pour qui intervenir ? Ou alors il ne faut pas intervenir, laisser le marché réguler ? C’est tout le débat. Quand on observe ce que passe dans d’autres pays comme les États-Unis avec la crise, toute fois qu’il y a une grande crise économique, l’État est intervenu massivement, alors que, historiquement, c’est un pays qui promeut les politiques libérales, c’est-à-dire le moins d’État possible. Donc, les pays africains doivent intervenir dans l’activité économique pour essayer d’accélérer le processus de développement de croissance, etc.
Qu’est-ce qui peut expliquer les difficultés auxquelles font certaines politiques publiques menées au Cameroun ?
Il y a des dysfonctionnements qui ont plus ou moins été relevé par les autorités du Cameroun, en particulier le Chef de l’État qui a relevé la question d’inertie, c’est-à-dire lorsqu’une décision est prise, avant qu’elle ne soit implémentée, elle passe d’abord entre les séminaires, les ateliers, et cela prend du temps. Et vous savez, l’économie n’est pas figée. Vous pouvez faire un diagnostic de la situation économique aujourd’hui et vous prenez les décisions pour répondre à cette préoccupation. Mais, vous n’êtes pas sûr que demain la situation économique soit celle qui était hier [étant donné, ndlr] l’évolution de la situation économique, avec des chocs qui peuvent intervenir, les changements de priorité. Vous regardez par exemple la situation du Cameroun : aujourd’hui on est sur le front sécuritaire, ça réoriente l’action gouvernementale et donne l’impression, de mon point de vue, que les effets des politiques publiques ne sont pas perceptibles du fait qu’i y a une évolution permanente de l’activité économique à l’international [et] en interne, qui explique que certaine politiques publiques ne soient pas perceptibles en termes d’effet.
Dans les secteurs comme la transformation industrielle, l’agriculture de seconde génération, est-ce que la mise en œuvre de politiques publiques n’empiète pas sur l’épanouissement du secteur privé ?
C’est un débat ; ce débat que j’ai présenté tout à l’heure entre deux grandes écoles : faut-il intervenir ou il ne faut pas intervenir ? Il faut intervenir pour créer un cadre pour le développement du secteur privé, parce que le secteur privé ne pourra jamais construire les infrastructures, ne va pas développer l’électricité, les routes, la fibre optique. Cela relève du gouvernement qui doit mettre en place tous ces mécanismes qui permettent donc au secteur privé de pouvoir se développer dans de très bonnes conditions. Et c’est le problème auquel confronté le Cameroun et d’autres pays africains qui sont régulièrement connus à travers ce qu’on appelle le « doing business », la facilité à faire les affaires. Mais il y a des actions, au niveau du gouvernement qui sont réalisées, qui ne sont peut-être pas perceptibles mais qui pourront, de mon point de vue, aboutir à des résultats intéressants. Il ne faut pas oublier que le Cameroun a quand même fait 20 ans de crises sous ajustement. Nous sortons de la crise. Lorsque nous commençons à retrouver les piliers de notre politique économique, on fait face à de nombreuses difficultés, notamment à des crises sécuritaires dans l’Extrême-Nord, à l’Est et dans les deux régions anglophones. Ça fait qu’il y a des réorientations budgétaires, et l’État doit pouvoir sécuriser le territoire national. Et donc, si au départ, certains fonds étaient alloués au financement des infrastructures, on ne va pas continuer à financer les infrastructures en les exposant au risque d’être détruit par des hommes n’ont ni foi ni loi. Le gouvernement est alors obligé, à un moment donné, de réorienter un certain nombre de ressources pour sécuriser le territoire national. Et les ressources au Cameroun ne sont pas illimitées, naturellement. On est contraint par beaucoup de facteurs, aussi bien en interne qu’en externe.
L’on estime qu’il convient de prendre en les besoins des populations avant de formuler une politique publique. Qu’est-ce vous pensez qu’il faille faire pour déterminer la réussite d’une politique publique qui est menée ?
C’est une question importante. […] Il faut absolument prendre en compte les préoccupations des populations ; et il me semble –j’ai observé l’élaboration du programme de développement du Cameroun qui sert de cadre aujourd’hui– qu’il y a eu une descente sur le terrain où les acteurs qui étaient chargés de l’élaboration du DRSSE sont allés vers les populations ce dont ils avaient besoin. Et quand je discutais avec des collègues, ils étaient surpris de ce que les populations attendaient ne correspondaient pas systématiquement à ce que le décideur public pensait. […]Si je peux me permettre, il faut construire un modèle qui s’inspire des expériences des autres pour savoir ce qui a marché, là où ça n’a pas marché, pourquoi ça n’a pas marché ; et tenir compte des contextes. On ne peut pas importer les politiques des autres pays sans forcément les adapter à notre contexte. On devrait pouvoir s’inspirer pour construire un modèle qui soit original, qui s’appuie sur les réussites des uns, sur le contexte, la mentalité des Camerounais pour que nous puissions sortir un système qui soit efficace. Je ne doute pas un seul instant que cela puisse de faire compte tenu de la ressource humaine qui se trouve dans les ministères, et un peu partout au Cameroun./
Propos recueillis par LP